Méditation du dimanche des rameaux

En ce dimanche des Rameaux, c’est le texte tiré du livre du prophète Isaïe qui a « éveillé mon oreille ».
Peut-être parce que la période que nous vivons ressemble un peu à celle que vivait alors le Peuple d’Israël : des temps difficiles, où le Peuple est en exil, confiné en quelque sorte, mais loin de chez lui. Une période troublée, où beaucoup sont en proie au découragement.
Au cœur de ce texte, une phrase : je ne me suis pas dérobé !
Le Serviteur souffrant que nous présente Isaïe est à double visage. Il est d’abord le Peuple tout entier, à qui Isaïe vient rappeler que malgré les difficultés, Dieu compte sur lui. Il compte sur le fait qu’il résiste, malgré la difficulté, la souffrance, les doutes…comme il compte sur nous aujourd’hui, au cœur de l’épreuve.
Il est bien sûr aussi comme en filigrane le visage du Christ, Celui qui par amour et pour sauver chacun de nous est allé jusqu’au bout, Celui par excellence qui ne s’est pas dérobé, le Serviteur, dans les pas duquel nous devons mettre les nôtres. Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur… nous dit saint Paul. Mais comment à sa suite ne pas nous dérober, où puiser les forces ? La réponse se trouve juste avant dans le texte.
Chaque matin, Le Seigneur mon Dieu m’éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple j’écoute. Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille.
Voilà la relation du serviteur à Dieu : écouter sa Parole, le laisser éveiller notre oreille. Écouter, c’est-à-dire faire confiance, ou dit encore autrement, avoir foi en Lui.
Et voilà notre mission : enracinés dans cette confiance, prendre la condition de serviteur, ne pas nous dérober à Dieu, à nos frères… c’est tout un. Dieu compte sur nous pour servir, pour témoigner.
Mais que peut vouloir dire aujourd’hui « ne pas se dérober », dans ce temps si particulier ?
Nous avons les exemples de toutes celles et ceux qui sont « au front » fiévreux des malades, les forces soignantes, de toutes celles et tous ceux qui ne se dérobent pas pour être au service, pour que l’essentiel soit assuré, de tous les élus aussi, que l’on oublie souvent dans les hommages, et dont beaucoup ne comptent ni heures ni jours pour être au service, de toutes celles et ceux qui en ces temps d’exception se révèlent exceptionnels. Leur réponse est éclatante, bouleversante…
Mais nous, nombreux, qui sommes confinés, privés de nos activités habituelles, comment ne pas nous dérober, alors que nous pouvons avoir l’impression « d’être dérobés » aux autres par le confinement. Comment vivre notre mission dont l’évêque nous dit dans sa lettre « La joie de la mission » qu’elle consiste à « oser sortir et annoncer », alors que nous sommes précisément empêchés de sortir ?
Peut-être d’abord en acceptant justement de ne pas sortir physiquement, et donc de sortir de nos habitudes, de nos désirs, de nos envies. N’est-ce pas l’un des sens du Carême, cette quarantaine que nous propose l’Église ?
Peut-être en inventant des manières de sortir sans sortir : en vivant la prière en communion avec les malades, les personnes isolées et fragiles, les soignants, toutes celles et ceux qui sont au service « dehors » ; en nous mettant au service du lien, en particulier avec ceux qui sont isolés ou souffrants. Les moyens techniques existent. Pour le reste, Isaïe nous le rappelle :le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé.
La prière et le souci d’entretenir les liens : des « gestes barrières » en quelque sorte pour lutter contre un autre virus qui peut nous menacer, celui du chacun pour soi, dont il nous faut oser sortir.
Alors surtout, ne baissons pas les bras ! Gardons notre oreille éveillée ! Puisons au matin de chaque jour dans la Parole de Dieu, dans son Amour qu’elle manifeste, la force d’être là sans nous décourager, sans nous dérober. Inventons la manière dont nous allons être aux autres. Et si nous trouvons que ce jour ressemble à une nuit, jalonnée de peines, d’inquiétudes, de mauvaises nouvelles, n’oublions pas que la lumière vaincra. C’est ce que nous allons célébrer au bout de cette semaine sainte. C’est notre foi, notre espérance. Nous avons à la vivre et à la partager.La vie aura le dernier mot. Déjà nous en voyons les signes, par tous les gestes dont nous sommes témoins, parfois bénéficiaires, et qui donnent la vie. Déjà nous en sommes les signes, chaque fois que nous ne dérobons pas à nos sœurs et à nos frères, chacun à sa manière.
Le Seigneur notre Dieu est là, avec nous, comme il l’était avec son Peuple au temps d’Isaïe, avec miséricorde, avec amour.Et il compte sur nous pour prendre part au jour qui se lève.

Jean-Louis Vercasson